Réforme de l'orthographe : ce qui change vraiment

Republié : Liberation Par Juliette Deborde — 4 février 2016

 

Proposée en 1990 par l’ Académie française, la révision de notre orthographe devrait être plus visible dans les manuels à la rentrée prochaine. L’ accent circonflexe est-il vraiment menacé? Décryptage 

L’Académie française les avaient formulées en 1990 mais elles n’avaient été que très peu appliquées. Les rectifications de l’orthographe seront systématisées dans de nouveaux manuels scolaires à partir de la rentrée prochaine. «L’enseignement de l’orthographe a pour référence les rectifications orthographiques publiées par le Journal officiel de la République française le 6 décembre 1990», indique le Bulletin officiel de l’Education nationale daté du 26 novembre 2015, répéré par plusieurs médias mercredi. Les recommandations du conseil supérieur de la langue française, validées par l’Académie française (et détaillées dans ce document de 1990) concernent plus de 2 000 mots, qui posséderont désormais deux orthographes. Les deux graphies seront acceptées, l’orthographe actuelle restant d’usage. Décryptage en cinq questions.

Quels mots pourront voir leur orthographe modifiée ?

Le premier concerné par ces rectifications : l’accent circonflexe, souvent vestige d’un «s» qui a disparu avec l’évolution de notre langue. Le «chapeau» qui donne des migraines aux CP ne sera plus obligatoire sur les lettres i et u, sauf quand il marque une terminaison verbale («qu'il fût»), sur les noms propres, ou quand il apporte une distinctio de sens. «Mûr» conservera par exemple son accent pour ne pas le confondre avec «mur». Le verbe «s’entraîner» écrit avec un simple «i» sans accent ne sera en revanche plus considéré comme une faute.

Dans le viseur de l’Académie également, les traits d’union et les «ph». «Chauvesouris», «millepatte», «portemonnaie», ou «weekend» pourront s’écrire en un seul mot. Les sages ont aussi voulu simplifier des tournures orthographiques peu intuitives («ognon» au lieu d'«oignon», «nénufar» plutôt que «nénuphar») et corriger certaines anomalies ou rendre cohérents des mots d’une même famille (comme «souffler» et «boursoufler», ce dernier pouvant prendre deux «f»).

Autres changements : certains accents («cèleri», «crèmerie», «règlementaire», «sècheresse»), ou encore le participe passé, qui pourra devenir invariable dans le cas où le verbe «laisser» est suivi d’un infinitif (elle s’est laissé mourir, ils se sont laissé faire).

Au total, 2 400 mots ont subi un lifting, soit environ 4% du lexique de la langue française.

Qui est concerné ?

Rassurez-vous, vous ne devrez a priori pas tomber sur des rééditions de Proust revues et corrigées. Les modifications ne s’appliqueront qu’aux ouvrages scolaires. Ce sont les éditeurs des manuels qui ont décidé d'adopter ces changements orthographiques, notamment les éditions Belin. Leurs nouveaux ouvrages d’orthographe et de grammaire distribués à la rentrée prochaine porteront un macaron «nouvelle orthographe», pour ne pas trop surprendre les professeurs et les parents.

Pourquoi a-t-on attendu aussi longtemps avant de l’appliquer ?

Si l'orthographe révisée sera plus présente dans les manuels scolaires à partir de la rentrée 2016, elle est en fait censée être en application depuis 1990. Les recommandations de l’Académie française sont valables depuis cette date, mais sont passées plutôt inaperçues, puisqu'elles n’ont rien d’obligatoires. Les deux orthographes sont acceptées, et les enseignants, comme tous les fonctionnaires, peuvent utiliser l’une ou l’autre. Certains manuels édités par le passé intégraient d’ailleurs déjà cette nouvelle orthographe, notamment chez Hatier.

La généralisation à la rentrée prochaine n'a rien à voir avec l'Education nationale, précise le ministère, et a été décidée par les éditeurs. Les programmes scolaires français ont d'ailleurs adopté cette rectification de l’orthographe dès 2008, mais de manière plus discrète, comme le montre le document de l'époque (accessible en ligne ici).

Quels sont les arguments de l'Académie française ?

Les modifications sont censées suivre l’évolution de la langue française, et faciliter son apprentissage par les élèves. Il est important de «continuer à apporter à l’orthographe des rectifications cohérentes et mesurées qui rendent son usage plus sûr, comme il a toujours été fait depuis le XVIIe siècle et comme il est fait dans la plupart des pays voisins», expliquait l’Académie française dans son texte de 1990. Pour le cas de l’accent circonflexe, qui, on l’a compris, fait l’objet d’une attention toute particulière, l’Académie considère qu’il «représente une importante difficulté de l’orthographe du français» dont «l’emploi incohérent et arbitraire» pose des problèmes y compris aux «personnes instruites». Et de citer quelques exemples qui justifient que l’utilisation de cet accent soit revue : l’usage incohérent au sein d’une même famille de mots (icône, iconoclaste ; jeûner, déjeuner ; grâce, gracieux) ou pour des questions de prononciation (bateau, château ; clone, aumône).

Pourquoi cette révision orthographique fait-elle l’objet de critiques ?

Comme souvent quand on évoque une modification de la langue française et de son apprentissage, certains y voient une tendance à un appauvrissement et à un nivellement par le bas. «Est-ce qu’on supprime les dates de l’histoire de France sous prétexte que ce n’est pas facile à retenir ? Non. Il est plus simple, plutôt que de soigner le malade, de casser le thermomètre. Et là, en l’occurrence, on casse le thermomètre plutôt que de soigner les difficultés en orthographe que connaissent les élèves d’aujourd’hui», déplore ainsi un professeur de lettres classiques interrogé par TF1, qui a repéré l’information. Un autre explique que cela va l’obliger à enseigner les deux orthographes aux élèves, car les nouvelles graphies ne sont pour l’instant pas encore entrées dans la vie quotidienne et risquent d’être interprétées plus tard comme des fautes de français. Mercredi soir, les internautes se sont insurgés contre ce qu’ils ont interprété à tort comme une disparition totale de l’accent circonflexe, au point de lancer un hashtag #JeSuisCirconflexe.

Republié : Liberation Par Juliette Deborde — 4 février 2016